"Trois langues dans ma bouche"
de Frédéric ARIBIT
L'auteur
Frédéric Aribit est né en 1972 à Bayonne. Il partage son temps entre
Itxassou et Paris. Après un doctorat de lettres, il a publié un essai, André Breton, Georges Bataille. Le vif du sujet (L'écarlate, 2012), et collabore notamment à La Cause littéraire, où il signe de nombreux articles. Il est également bassiste. Trois langues dans ma bouche est son premier roman..
4ème de couverture
Il croyait l'avoir perdue à jamais : sa
langue maternelle se réveille. Agitée par les coups du hasard, elle
secoue le Basque qui sommeille en lui et le propulse dans les vies
minuscules de son enfance. Alors il n'a plus le choix. Cette langue
devenue étrangère, il la tourne mille fois dans sa bouche. Et elle met
son corps à l'épreuve d'un long baiser qui embrasse avec une même fougue
les livres qu'il lit, les gens qu'il aime et ceux qui meurent, broyés
parfois dans les mâchoires des revendications politiques.
Furieusement poétique, Trois langues dans ma bouche est l'aventure saisissante d'un homme en quête d'identité, avec le basque aux trousses et l'écriture pour horizon.
Mon avis
Ce premier roman de Frédéric Arabit me laisse perplexe et pas réellement convaincue car je ne l'ai pas vécu comme un "roman", mais plutôt comme un essai, une introspection de l'auteur, une recherche, une quête de vérité ou d'identité comme évoquée par l'éditeur en 4ème de couverture.
Son écriture est certes remarquable et empreinte de poésie, mais aussi chargée d'ironie parfois sexiste ou un peu morbide...
J'ai aimé le rythme du récit autant que les références musicales et vestimentaires qui ont marqué les années 70 et 80 et dont l'auteur use pour enrichir la narration de ses exploits et découvertes de jeunesse.
La langue sous toutes ses formes est bien évidemment au cœur de ce livre car il nous la sert aussi bien en vinaigrette, qu'enroulée autour de la sienne ou encore chargée d'un dialecte du pays basque.
Un regard politique sur l'identité des territoires et plus particulièrement sur les indépendantistes, les manifs et les dégâts collatéraux, quelques références aux illustres écrivains qui ont guidé les pas de l'auteur vers la littérature, des souvenirs d'enfance, des liens familiaux qui s'éteignent et une langue qui tourne sept fois dans la bouche avant de raconter... voici ce que contient ce premier roman.
J'employais au début de ce billet le mot "perplexe" parce que j'ai aimé ce livre et pourtant quelque chose m'a manqué. De l'émotion peut-être ? Je ne me suis pas du tout attachée au personnage principal, qui m'est apparu comme "imperméable" et distant. Je me suis régalée dans la première partie du livre parce que j'ai aimé l'humour et l'écriture de l'auteur et que ses souvenirs de jeunesse correspondaient aux miens. En revanche les cinquante dernières pages m'ont semblé un peu longues et je dois avouer que je me suis ennuyée et perdue dans son débat intérieur.
Voici donc mon avis très mitigé sur ce livre à la verve irréprochable, riche de vocabulaire, de références culturelles, historiques et linguistiques, mais pauvre en émotions en ce qui me concerne !
Quelques extraits
"Tu sais ce que c'est ça ? fit-il pour me calmer. Tu te rends compte de ce que tu as devant les yeux, là ? Ce sont les deux plus anciennes lignes de basque jamais retrouvées. Ça s'appelle les Glosas Emilanenses, ce sont les commentaires d'un vieux livre latin du Xe ou XIe siècle, on a retrouvé ça dans les marges du texte, sans doute écrit par un moine copiste du monastère de San Millan de la Cogolla, dans la Rioja. Deux petites lignes, imagine, deux foutues petites lignes sur un millier de gloses en latin, tu te rends compte ?"
"Une légende basque raconte qu'afin de soumettre les hommes et les femmes de ce pays à la tentation, le diable essaya pendant plus de mille ans d'apprendre l'euskara. N'y parvenant pas, il dut finalement renoncer à envoyer les Basques en enfer.
Je me demande inversement si Dieu, lui, parle le basque. Malgré l'ahurissant renouveau de cette langue en péril dans les années 60 et qui compte aujourd'hui plus d'un million de locuteurs, dont près de 60 000 en Pays basque français, je n'en suis pas certain."
"Les imbrications corporelles devinrent soudain plus complexes. Nous innovions sans cesse, inventant des positions que je ne savais pas physiquement possibles l'instant d'avant, et vas-y que jet te mets mon bras là, et vas-y que tu lui mets ta jambe ici, et alors que nos innocentes conversations suivaient leur petit bonhomme de chemin, parcourant de A-ha jusqu'à ZZ Top tout l'alphabet discographique du moment, nos souffles s'accéléraient si bien que de consentements tacites en chaleurs inconnues, l'air se raréfiait autour de nous, en autant de touch-and-go qui s'ajournaient d'eux-mêmes."
"L'une était blonde, plus arrondie déjà, plus formée que l'autre, la brune autrement plus gouailleuse et qui l'éclipsait en beauté. Mais ce qui fascinait surtout chez ces diablesses acoquinées comme pour vous perdre était cette légère claudication dont souffrait la première, la sœur du petit Benat, parce qu'elle avait une jambe plus courte que l'autre."
"Et puis il y avait cette histoire de jambe, une seule, qu'on n'avait jamais retrouvée. Déchirée sous la force de l'impact, projetée quelque part dans les airs et atterrissant dans le noir alentour, dans un fourré où elle avait lentement pourri, ou dans la gueule d'un chiens moins regardant dont elle avait fait le régal, comme ce morceau de sa propre côte qu'après un pneumothorax, Roland Barthes avoue avoir longtemps conservé dans un tiroir, relique de lui-même, avant de se résigner à le jeter aux clébards du haut de son balcon. On avait enterré un corps unijambiste."